De Wagner à Hitler,
portraits croisés.
Historienne, germanophone, Fanny Chassain-Pichon avait réalisé sa thèse de doctorat sur les parcours croisés de Wagner et Hitler. CulturActu a choisi de l'interviewer pour évoquer son ouvrage consacré à un portrait en miroir du compositeur et du dictateur. Un livre passionnant qui sort aujourd'hui chez "Passés Composés", riche en découvertes historiques méconnues en particulier sur le compositeur Richard Wagner.
Si le grand public connaît Adolf Hitler pour les idées et les crimes commis avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, on ne sait, au fond que peu de choses sur Richard Wagner né en 1813. "Ce portrait en miroir, explique l'auteur, est né de mes études en Allemagne, un travail de recherches demandé par l'un de mes professeurs. La base de mon travail était "Mein Kampf" et je devais explorer les racines et la mythologie des éléments qui avaient influencé Hitler. J'ai donc entrepris des recherches approfondies qui m'ont, à chaque fois, ramenée à Wagner ou ses proches. C'était très étonnant pour moi. En avançant dans mon travail d'écriture, j'ai eu l'idée de ce portrait croisé. Un exercice difficile car je n'ai pas été aidée dans mes recherches par la famille, hormis Gottfried Wagner, l'arrière petit-fils du compositeur qui m'a montré ses archives et m'a dit de creuser ce domaine, m'expliquant que son ancêtre était bien antisémite et raciste virulent. Mais pour beaucoup, l'image de Richard Wagner ne doit pas être écornée." Pas question, en fait, pour l'auteur de critiquer l'oeuvre musicale mais d'exposer les faits.
Les liens qui unissaient Hitler et Wagner étaient puissants. Un fait d'autant plus curieux que le second disparut 50 ans avant la montée au pouvoir d'Hitler. Au fond, le public sait tout juste que le dictateur nazi aimait les musiques de Wagner.
Ce portrait en miroir part des racines familiales des deux hommes, de l'enfance: tous deux ont vécu l'angoisse de leurs origines, des changements de noms avec des différences. Wagner a eu une enfance ballottée tandis qu'Hitler vivait dans une atmosphère familiale; Wagner fut ensuite adulé et Hitler devint solitaire. "La passion d'Hitler pour Wagner a débuté à l'âge de 12 ans, explique l'auteur, quand il découvrit le premier opéra, et plus tard lorsqu'il vit "Rienzi" vers 1907." Un personnage auquel Hitler s'est, semble t'il, pleinement identifié. L'opéra Rienzi, c'est l'histoire du dernier tribun de Rome au Moyen Age. Son projet, dans l'histoire, est une révolution du peuple contre les aristocrates, peuple qui l'acclame dans le texte de l'opéra par un "Heil Rienzi". "Le héros de l'histoire, explique t'elle, influence tant Hitler qu'il se sent investi d'une mission, dans un fantasme absolu. Il crée, par exemple "la journée Richard Wagner" et a une volonté ferme de bâtir une religion issue de "Parsifal". Toute son idéologie, selon moi est une idéologie pure wagnérienne. C'est une obsession totale."
De nombreux écrits attestent de l'antisémitisme de Wagner avec "Was ist deutsch" dans lequel il explique que "l'Allemagne est un pays de vertus" mais aussi "Le judaïsme dans la musique" et "Ma vie" qui a de nombreuses similitudes avec "Mein Kampf". "On peut donc s'interroger sur le fait qu'Hitler ait voulu accomplir les rêves du maître, explique Fanny Chassain-Pichon. Il a beaucoup lu Wagner qui parlait déjà du gazage des Juifs. "Mein Kampf" est, je peux l'affirmer, une synthèse des idées de Wagner. Et "le judaïsme dans la musique"est l'un des plus abominables textes au monde."
"Il y a une forme de "copier-coller" entre "Ma vie" de Wagner et le "Mein Kampf" de Hitler. Mais je ne peux affirmer que Wagner est responsable des actes de la Solution finale, ajoute l'auteur. A l'époque, Wagner était mort et ne connaissait pas Hitler. Mais les idées étaient présentes. Il faut aussi savoir aussi que la belle-fille de Wagner envoyait du papier lorsqu'Hitler était en prison pour qu'il écrive "Mein Kampf". C'était un fervent soutien."
"Wagner était dans les mots, la provocation et évoluait dans un monde au XIXème qui était très antisémite, précise l'auteur. Il est dans un courant de pensée. Si Wagner et Hitler s'étaient connus, cela aurait été intéressant de voir ce qui ce serait passé.
"A l'intérieur de ses oeuvres, on ressent l'antisémitisme de Wagner. Dans "L'Anneau du Nibelung", on trouve la figure des héros aryens et les figures des nains, des "vilains" qui sont juifs. C'est aussi le cas dans d'autres oeuvres où on trouve des images de juifs maléfiques. Et Kundry, la femme à laquelle il donne un côté enjuivé très clair apparaît aussi dans "Parsifal". Nietzsche affirmait à ce sujet que "Wagner était une névrose et Parsifal, un attentat à la morale."
Dans l'ouvrage de Fanny Chassain-Pichon , on découvre enfin qu'Hitler avait en sa possession des partitions originales de Wagner, dont Rienzi. Avant de se suicider, Hitler qui avait reçu ces partitions en cadeaux, décide de les détruire. Comme si la fin du Reich sonnait la fin du rêve de son maître Wagner et la destruction totale de cet univers.
Lorsque l'on demande à l'auteur si la fin du livre montre au delà du miroir une sorte de fusion entre les deux personnages, elle ne peut pas l'affirmer mais explique :"Quand je travaillais sur les deux personnages, je vous avoue que je finissais par confondre les deux tant ils ont de points communs. Mais non, en tant qu'historienne, je ne peux parler de fusion car ils ne se sont pas connus. Parler de miroir, oui; il y a un mimétisme girardien".
Fanny Chassain-Pichon est historienne, germanophone et a réalisé une thèse sur le thème "Wagner et Hitler"; elle a travaillé au Mémorial de la Shoah, au sein de l'association Yahad-In Unum, l'association du Père Patrick Desbois qui étudie "la Shoah par balles", puis au Cercil, le musée mémorial des enfants du Vel d'Hiv à Orléans. Elle exerce désormais à l'Innovation Factory, une école du numérique où elle est responsable éditoriale d'un programme spécifique de recherche sur les game studies.
Marie-Hélène Abrond
Publié le 2 juin 2020
Commentaires
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- 1. Olivier Berger Le 25/07/2020
Merci pour cette interview et ce sujet novateur autant que passionnant ! Un livre qui fera date dans l'historiographie du IIIe Reich. -
- 2. Dominica Merola Le 04/06/2020
Quel sujet intéressant et passionnant, un parallèle Wagner-Hitler merci à la journaliste Marie-Hélène Abrond de Cultur'Actu pour nous avoir fait découvrir l'auteur Fanny Chassain-Pichon -
- 3. Van de Voorde Jacques Le 03/06/2020
UN sujet drôlement intéressant ! je remercie Culture Actu de ramener ce sujet car dans mes lectures, j'avais conscience qu'Hitler était un fervent admirateur de da musique mais, je ne réalisait pas que cette admiration était sans doutes avant tout idéologique.
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