Passionnés d'Histoire et de Mémoire, à Paris ou de passage dans la capitale cet été, allez visiter au "Mémorial de la Shoah", l'espace consacré au "Marché de l'art sous l'Occupation", de 1940 à 1944. C'est la première fois, en effet, qu'une exposition interroge les dessous sombres de ce "commerce", très florissant, à cette période. Un sujet fort, riche en témoignages permettant de découvrir un aspect souvent méconnu de la Seconde Guerre mondiale en France.
Si le Mémorial de la Shoah est un lieu émouvant comme espace de recueillement et de mémoire pour ceux qui ont survécu et leurs descendants, il est aussi lieu de vie dans une compréhension toujours renouvelée du passé avec des angles d'entrée différents et inconnus du grand public. L'exposition du Marché de l'art sous l'Occupation en est un vibrant témoignage.
Avant la guerre, Paris occupe une place prépondérante dans le marché de l'art international. Les grandes galeries étaient installées sur la rive droite de la Seine. En Allemagne, dès 1933, Adolf Hitler dit vouloir "sauver" la Kultur allemande, de la décadence artistique. Des mesures sont adoptées: persécutions, déportations, confiscations et pillages d'oeuvres d'art moderne comme le cubisme, le dadaïsme et l'expressionnisme. Regroupées sous le nom d'Entartete Kunst , traduction littérale d'art dégénéré, 650 oeuvres composent une exposition itinérante, présentée aux populations, lors d'un parcours en Allemagne et en Autriche. Un outil de propagande dont les affiches invitant à la visite ciblent clairement les Juifs. En 1940, en France, des journalistes et critiques d'art reprennent ces thèses soi-disant esthétiques mêlant les amalgames raciaux.
A l'été 1941, les administrations françaises décident de confisquer les entreprises, les biens et oeuvres d'art appartenant aux Juifs de France. L'exemple de Pierre Loeb, galériste qui exposait Picasso, Miro, Matisse ou Giacometti est marquant. Il dut céder en 1941, sa galerie à un marchand de tableaux aryen. Ses comptes bancaires bloqués, les oeuvres exposées réquisitionnées, Pierre Loeb réussit à fuir mais récupèrera avec grande difficulté sa galerie en 1945, grâce à l'intervention de Picasso.
Avec l'application des lois du gouvernement de Vichy, ceux qui possédaient tableaux ou objets de valeurs sont vite spoliés, à la fois de leurs ressources et de ces biens qui auraient pu les aider à fuir. Pendant qu'ils sont arrêtés et déportés, les oeuvres sont mises aux enchères en salles des ventes, en l'absence des propriétaires et sans indication d'origine. Les communiqués de la Préfecture de Police de l'époque sont claires: "L'entrée des Juifs dans les salles de l'Hôtel des ventes est interdite d'une manière absolue". A Paris, deux millions d'objets transiteront ainsi de 1941 à 1942. Aujourd'hui encore, des descendants de familles de disparus dans les camps redécouvrent souvent par hasard, leur patrimoine dispersé. Le témoignage de la petite nièce d'Armand Isaac Dorville, avocat et collectionneur vous laissera sans voix: la vente des oeuvres avait été faite au profit de l'Etat de Vichy à Nice en 1941. Une découverte par le biais d'un cabinet de généalogie lui indiquant qu'un héritage lui revenait.
Rappelons, pour information que le Premier ministre Edouard Philippe, soucieux de la question, s'est engagé, en 2018, pour un renforcement des services en faveur des victimes des spoliations antisémites.
Exposition jusqu'au 3 novembre. Entrée libre. Tous renseignements: Mémorial de la Shoah .
Marie-Hélène Abrond
Publié le 7 août 2019
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