Jérôme Attal, l'éternel romantique !
Quoi de plus doux pour une âme romantique que d'écrire un "Petit éloge du baiser" et de l'offrir à ses lecteurs ? Nous avons rencontré Jérôme Attal au Festival "Le Livre à Metz" pour son ouvrage publié aux Editions les Pérégrines. Auteur d'une vingtaine de livres, parolier de plus de 400 chansons, Jérôme Attal a aussi reçu, il y a deux ans, le Grand Prix Sacem pour l'ensemble de son oeuvre.
Rare d'entendre une personnalité s'avouer être "romantique". Peut-être parce que le regard des autres sur ces esprits délicats n'est pas forcément dans l'air du temps qui en a pourtant bien besoin. Sans doute aussi parce que la sensibilité des poètes n'épouse pas forcément la violence du monde dans lequel nous vivons. Jérôme Attal, lui, le revendique bien volontiers : "Je suis un romantique." Ajoutant dans son ouvrage: "Je me suis laissé porter par l'existence sans chercher à jouer des coudes pour embrasser une carrière quelque part. Quitte à embrasser, j'ai toujours préféré la trajectoire du coeur." Interview !
Vous avez écrit ce "Petit éloge du baiser" pendant le confinement. Etait-ce une volonté de rendre hommage au baiser et à ses vertus qu'on avait oubliées ?
Pour être honnête, le livre a été écrit un peu avant le confinement et nous ne savions trop quand l'éditer, pendant cette période durant laquelle le baiser allait être matière à fantasme, envie et désir ou bien après. En définitive, nous avons choisi octobre dernier alors que nous commencions à revivre un peu afin de redonner de l'espoir. Ce livre est semblable à une friandise, avec des petits textes qu'on peut lire en les picorant. L'idée était de faire plein de petites madeleines de Proust autour du baiser, de parler de tous les baisers qu'on a dans l'imaginaire collectif ou de façon plus personnelle de premiers baisers.
S'embrasser - et peu importe la forme - c'était le risque pendant la pandémie d'apporter la maladie ou de donner la mort à ceux qu'on aimait alors que dans les contes, c'est plus poétique avec les baisers qui redonnent la vie à leurs héroïnes...
C'est une belle analogie. Je ne viens pas d'une famille où on s'embrassait spécialement mais ce qui m'a frappé lorsque je regardais les infos, c'est de voir à quel point les grands-parents ou parents étaient malheureux de ne plus pouvoir embrasser leurs enfants ou petits-enfants. Le manque de contact était une vraie souffrance. Mais dans mon livre, je m'intéresse principalement au baiser romantique ou amoureux... celui qu'on fait avec la langue !
Est-ce plus facile d'écrire sur le baiser que de le donner ?
Oui, bien sûr car c'est une posture romantique. Lorsque j'étais adolescent, je préférais écrire des lettres d'amour plutôt que d'aller voir la fille qui me plaisait et lui dire que j'avais envie de l'embrasser. J'étais terrorisé à cette idée. Ce qui est terrible avec ce livre c'est que je n'y ai pas inséré tous les baisers. Une amie m'a dit récemment qu'elle s'entrainait à embrasser en le faisant dans le creux de son poignet. J'ai trouvé cela tellement beau. Ce baiser est une quête, un graal, tout en étant terrorisant la première fois car on ne sait pas comment ça va se passer. Cette magie, cette crainte sont très romanesques. Quand j'écris un nouveau livre ou un roman, je suis comme un jeune amoureux qui part conquérir le sujet de son amour qu'il a envie d'embrasser.
Avant l'échange du baiser, il y a le croisement des regards. Cet échange peut-il être, selon vous, plus intense que le baiser ?
Je pense que oui. Mais ce qui est beau, dans le baiser, c'est la concrétisation de beaucoup d'espoirs, de souffrances, d'incertitudes. On s'interroge : la personne pense-t-elle à moi au point de vouloir m'embrasser ? Suis je assez bien ? Je ne parle pas du coup de foudre mais de la trajectoire menant à un baiser, d'un point de vue très romanesque, littéraire. On passe par beaucoup de sentiments de crainte, de désir. Je pourrais écrire un roman sur cette trajectoire qui se conclurait sur un baiser. Le baiser, c'est une frontière, la lisière d'autre chose. Les deux personnes qui s'embrassent changent, passant d'un chemin solitaire à une route ensemble, si tout se passe bien.
Vous parlez de toutes les catégories de baisers, clandestins, compliqués, reçus en rêve, perdus en chemin, jamais reçus... quel est celui qui vous a le plus marqué ?
Mon être romantique aurait envie de dire que les plus beaux sont ceux que je n'ai jamais reçus ou donnés. Mais dans la pratique, il y a des baisers superbes. Chaque roman est un premier roman, comme un premier baiser. On est toujours émerveillé de ce qui peut se passer.
De votre jeunesse, vous dîtes "Je me suis laissé porter par l'existence sans chercher à jouer des coudes pour embrasser une carrière quelque part. Quitte à embrasser, j'ai toujours préféré la trajectoire du coeur." Est-ce le destin du poète ?
Du troubadour peut-être. Entre 20 et 30 ans, période où on se positionne dans une carrière, je préférais tomber amoureux et passer mon temps à embellir la vie de la personne que j'aimais. Je suis passé à côté de tous les positionnements de cet âge-là. Je préférais vivre des histoires d'amour plutôt que d'aller à la fac. J'étais un romantique sans doute. Et je trouvais qu'il y avait une noblessse dans l'histoire d'amour que je ne trouvais pas dans la réalité.
Quelle serait votre définition du romantisme ?
C'est compliqué; disons une attitude, un goût d'absolu sachant que l'absolu peut être périmé. C'est un goût de vivre les choses entièrement du point de vue de son coeur et ne pas transiger sur ses émotions.
L'observation et un regard différent, est-ce ce qui donne des couleurs au gris de la vie, ouvre une porte sur l'imaginaire dans le travail de l'écrivain ?
Pas seulement. Des lectrices m'ont dit aujourd'hui "Vous écrivez une phrase qui nous emmène dans plein d'endroits possibles et sa fin est inattendue". La réalité est tellement violente, dure, décevante... Je n'ai pas envie, dans mes livres, d'ajouter détresse, tristesse ou pesanteur à la vie des gens. J'aime l'idée du livre-refuge en tant que lecteur, des livres que je peux emmener avec moi. Quand je pose mes yeux entre les pages, c'est pour me tenir, me donner un peu beauté, de douceur, d'imagination et d'évasion.
Vous écrivez pour les plus grands Florent Pagny, Vanessa Paradis; vous avez écrit pour Johnny. Qu'est-ce qui vous inspire dans cette écriture particulière ?
Tout. Je suis toujours en alerte. J'ai besoin de mettre en mots ce qui me touche. Deleuze dit qu'on crée quand il y a une différence entre ce qu'on est profondément et ce qu'on voit de la vie ou ce qu'elle nous donne. Je m'y reconnais complètement. Si je vois un événement qui me heurte, me blesse, j'ai besoin d'écrire pour réduire cette distance, guérir. Je me reconnais dans cette idée d'Intervenir par la création et la douceur avec la littérature.
Quels sont vos projets ?
Actuellement, j'accompagne mon dernier ouvrage "L'âge des amours égoïstes" publié chez Robert Laffont un peu partout. Je publierai en septembre, la suite de mon livre sur les Beatles que j'adore aux éditions Le Mot et le Reste avec une histoire d'amour dans cet univers. J'ai aussi un projet de nouveau roman, un album de nouvelles chansons pour moi et peut-être un nouveau Petit Eloge. J'ai adoré cette expérience mais trouver un sujet aussi fort va être un peu compliqué. Il y aura aussi un livre jeunesse en 2023. Je vais écrire cet été. C'est un moment propice pour être dans ma bulle quand les autres sont en vacances !
Marie-Hélène Abrond
Publié le 12 avril 2022
En savoir plus ? Ecoutez le podcast de l'interview !
Ajouter un commentaire