Haut-lieu des chansonniers, le "Théâtre des Deux Anes" avec Jacques Mailhot à sa tête vient de reprendre "Trumperie sur la marchandise". Le verbe y est roi, en rimes, en prose, en chansons. Jamais vulgaire, souvent irrévérencieux, toujours joyeux, ce spectacle cousu main porte un regard acéré sur la politique et ses acteurs. Le public ne s'y "trumpe" pas. La salle, hilare, affiche complet. Interview de Jacques Mailhot, le chef de cette joyeuse troupe !
Vous avez repris"Trumperie sur la marchandise". La "trumperie" politique serait-elle un concept international ?
Je crois que oui. C'était le point de départ du spectacle. On a vu qu'il existait sur de nombreux continents des régimes trompeurs. Ce titre me semblait dans l'air du temps.
Comment travaillez-vous à l'élaboration d'un tel spectacle qui suit l'actualité politique ?
Lorsque je relève des faits saillants et que ceux-ci peuvent être exploités, je les travaille et les intègre peu à peu. Le spectacle est sous perfusion. Je lui instille des nouveautés sur l'actualité, je gomme les faits qui en sortent. Chaque membre de la troupe apporte sa pierre à l'édifice. Nous travaillons de façon collégiale. J'en suis un peu le chef d'orchestre. Parfois, je propose des personnages à Florence Brunold ou Michel Guidoni. Ils écrivent un texte, on le retravaille ensemble. Nous fonctionnons comme une coopérative.
Quel regard portez-vous sur l'actualité politique ?
Un peu désabusé, inquiet, je dois dire car le débat politique n'est pas de grande qualité. On sent une crise générationnelle, un peu comme dans le XV de France de Rugby. Le Président apparait bien isolé. Il n'y a pas d'éventualité d'alternance; les partis sont affaiblis et les pseudo-débats montrent la pauvreté du propos. Les syndicalistes sont plus concrets dans leur approche que les grands débats.
Le métier de chansonnier a t-il selon vous un rôle social ?
Maurice Horgues disait que nous étions à la fois "catalyseur d'opinion et soupape de sécurité à la démocratie, la République". On catalyse, c'est vrai, les inquiétudes, les exaspérations; on retranscrit pour que ce soit drôle. Le public en rit et décompresse. On fait partie des "fous du roi" ou des chansonniers du Pont Neuf au XVIIème siècle. Pour faire ce métier, il faut aimer la politique, les élus parfois détestables mais aussi estimables. Il faut garder du recul et éviter tout engagement personnel. Nous sommes des observateurs. Yves Mourousi nous qualifiait de "journalistes souriants".
Pourrait-on comparer votre métier à celui de caricaturiste ?
Un journaliste du Figaro m'avait dit "En une phrase, vous dites ce que parfois un dessinateur fait en trois coups de crayon." Le lien entre nous est direct. J'envie parfois les dessinateurs. Une personnalité comme Cabu avait l'art de vous camper à la fois le personnage et une situation en quelques coups de crayon.
Quelles qualités faut-il pour être chansonnier ? Une plume, un jeu, une complicité avec le public et une envie de transmettre ?
La complicité avec les spectateurs est indispensable, une plume acérée et pertinente et une présence scénique aussi qui se cultive et s'affine au fil des années. On le voit avec Paul Dureau, le petit nouveau de la troupe, 23 ans qui nous a rejoint cette année. Ses textes sont intéressants et il va évoluer.
On parle de tradition des chansonniers dans la transmission bienveillante aux jeunes artistes...
Nous cultivons un esprit de troupe et de famille. Lorsqu'on nous accueille, on est adoubé ou pas par les anciens. Une fois qu'on est adopté ses pairs, ils vous conseillent, vous aident, vous ouvrent des portes. Il y a, c'est vrai, ce goût de la transmission, beaucoup plus marqué que dans les autres activités où l'individualisme fait des ravages. Je dois dire que je suis très heureux d'avoir continué à réunir une troupe homogène. En rachetant le théâtre, j'avais démarré avec Maurice Horgues. La tradition continue. Et le théâtre fête ses 101 ans cette année !
Marie-Hélène Abrond
Avec Jacques Mailhot, Florence Brunold, Michel Guidoni, Gilles Détroit, Emilie-Anne Charlotte.
En tournée pour "Tout est bon dans le Macron". En spectacle jusqu'au 29 juin pour "Trumperie sur la marchandise" au Théâtre des Deux Anes. A lire "100 ans d'humour politique" de Véronique Mortaigne publié aux Editions du Cherche-Midi dont nous vous reparlerons prochainement.
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